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Entrevue avec Normand Baillargeon

PHOTNORMANDDevant le succès de la chronique sur les aphorismes de Tagore, traduit par Normand Baillargeon, mais aussi face à votre demande d’en connaître plus sur l’auteur, Made in Québec a demandé une entrevue avec ce dernier. La maison d’édition Le Noroît, précise que le livre est disponible dans l’ensemble des librairies. Si certains d’entre vous, ont de la difficulté pour se le procurer, vous n’avez qu’à communiquer avec celle-ci par courriel en précisant votre demande.

MiQ : Racontez-nous comment s’est déroulé la rencontre avec les aphorismes de Tagore ?

J’ai découvert ce recueil de Tagore par le plus grand des hasards. Un site Internet que je fréquentais il y a quelques années proposait des aphorismes à ses visiteurs qui devaient patienter quelques instants. Certains d’entre eux provenaient d’un recueil intitulé Stray Birds, de R. Tagore. À ce moment-là, je ne connaissais Tagore que comme poète et j’ignorais encore toute l’ampleur extraordinaire de son œuvre et le fait qu’il avait écrit des aphorismes. Ceux que je découvrais m’ont immédiatement beaucoup plu et j’ai rapidement trouvé en ligne l’intégralité du recueil. On peut d’ailleurs toujours le lire à : http://www.readbookonline.net/readOnLine/1007/

MiQ : Pensiez-vous alors, en faire une traduction de ces aphorismes ?

J’ai très tôt découvert à ma grande surprise, que ce livre de Tagore n’était pas disponible en français et qu’il avait été écrit directement en anglais et non en bengali. J’ai donc eu envie de le traduire. À l’université Mc Gill de Montréal j’ai pu mettre la main sur une photocopie de l’édition originale de 1916 et je me suis mis au travail en 2005, à temps perdu.

MiQ : Que souhaitez-vous transmettre aux lecteurs avec ce livre ?

Je voulais d’abord partager cette émotion que l’on ressent devant la beauté et la poésie. Puis, en travaillant sur ce livre et sur Tagore, j’ai eu envie de faire connaître l’homme et l’œuvre, que j’apprenais à aimer. D’où l’appareil critique qui accompagne ma traduction. J’ai traduit (ou co-traduit, avec ma compagne, Chantal Santerre) quelques livres déjà. C’est un très gros travail et je ne m’y engage que parce que je pense que le texte traduit apportera quelque chose d’important aux lecteurs francophones et parce que je l’aime. Moi qui traduis bénévolement et par plaisir, je ne pourrais pas traduire un livre dont je ne suis pas très amoureux

MiQ : L’oeuvre de Tagore est très peu connue, alors qu’en Europe par exemple, André Gide le traduisit. Est-ce que cela vous a mis une pression supplémentaire ?

Tagore est un monument et on l’approche avec grand respect et timidement. De plus, l’aphorisme présente des difficultés spécifiques pour un traducteur. On veut notamment rendre un certain éclair de la pensée, un rythme, une musique, un balancement de la phrase, sans bien entendu négliger le sens. J’ai fait de mieux : aux lecteurs et lectrices de dire si ce mieux est suffisant.

MiQ : Comment expliquez-vous que ces aphorismes sont encore d’actualité. Ils collent parfaitement avec notre monde actuel.

Je pense comme vous qu’il y a en effet quelque chose d’intemporel à ces aphorismes. Comment l’expliquer? Difficile à dire et cela reste bien mystérieux. Mais voici quelques possibles éléments de réponse. Les termes employés sont souvent abstraits; les éléments concrets (brin d’herbe, nuage, etc.) deviennent des symboles qui incarnent des idées; la concentration de l’idée en quelques mots; le fait que chacun lit en partie ce que sa propre expérience lui suggère dans un texte autrement imprécis; sans oublier cette étonnante capacité de la littérature en général et de la poésie en particulier à exprimer de manière fulgurante certains aspects de l’expérience humaine et à rejoindre l’universel à partir du singulier. La poésie, en fait, permet de dire «Je à la millionième personne du singulier» et c’est précisément que Tagore réussit ici.

MiQ : Est-ce que cela vous a donné l’envie de traduire d’autres oeuvres de Tagore (évalué à plus de 120 livres) ?

Il faudrait pour commencer que ce texte soit en anglais, ce qui était le cas de Stray Birds. J’ai été bien chanceux de découvrir un texte de Tagore rédigé en anglais et qui n’avait pas encore été traduit. Si l’occasion se représente, je ne suis pas fermé à l’idée de reprendre ce bien doux collier.

MiQ : Pensiez-vous avoir un tel accueil du public avec ce livre tant au niveau des ventes que par la réception des médias ?

Le livre semble peu à peu trouver son public et cela me réjouit. On ne sait jamais, quand on fait un livre, l’accueil qu’il recevra; et la poésie, hélas, est bien peu lue.

MiQ : Comment se sont déroulées vos traductions de ces ouvres ? Aviez-vous des rituels d’écriture ?

J’écris beaucoup, surtout des livres d’essais et des articles, notamment en politique, en philosophie et en éducation. Ce sont souvent des commandes ou des textes promis. Au total, hélas, je n’ai guère de temps pour écrire pour le seul plaisir. J’avais donc peu de temps pour Tagore, un travail justement fait par pur plaisir. Alors je gardais une copie de Stray Birds dans ma voiture, ainsi qu’un carnet et un stylo. Quand nous nous déplacions, à chaque fois que je ne conduisais pas, je traduisais un ou plusieurs aphorismes en route. Le livre a donc était fait en voiture, durant un an environ. Après quoi, j’ai rédigé l’appareil critique (l’introduction et la bibliographie). Ce livre, je dois le dire, a grandement bénéficié de l’accueil généreux et du professionnalisme des gens du Noroît, et tout particulièrement de Paul Bélanger, ainsi que du travail de correcteur de mon ami Martin Jalbert, l’œil-de-lynx.

MiQ : Les livres de poèmes sont encore malheureusement, réservés à une partie du lectorat. Comment expliquez-vous le peu d’intérêt pour les lecteurs pour ce genre de lecture qui dépeint très souvent notre monde actuel ?

La poésie est exigeante et il faut se donner la peine de faire des efforts pour y pénétrer : mais elle donne de vrais, immenses et incomparables plaisirs. Il faut apprendre petit à petit à faire ces efforts ; mais notre monde est plutôt porté vers des gratifications immédiates et souvent faciles. Je pense que l’école tient ici la clé du succès et qu’il faut faire un travail pédagogique pour faire connaître la poésie. Tout le monde, j’en suis convaincu, peut être touché par elle.

MiQ : Pour terminer, je laisse l’auteur conclure l’entrevue afin de faire passer un message aux lecteurs du site. Quel serait-il ?

Donnez-vous la chance, si ce n’est pas encore fait, de goûter à des poètes. Faites vous ce plaisir. Commencez au besoin par des textes plus accessibles (Prévert, certaines choses d’Aragon mises en chanson, Gilbert Langevin, par exemple). Et rappelez-vous ce mot du philosophe Alain : «Les vrais plaisirs sont d’abord amers à goûter.» C’est souvent vrai.

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