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“ Soudoyer Dieu “ de Thérèse Lamartine

Récit :

Le 6 décembre 1989, Renée-Pier Laberge perd sa complice de toujours et son âme sœur, Émilie Doucet, tombée sous les balles du tueur de l’École Polytechnique de Montréal. Ce drame unique dans l’histoire du Québec transforme à jamais la vie de la jeune femme, en même temps qu’il foudroie son équilibre existentiel. Ignorante du temps qu’il lui sera nécessaire pour guérir, seul l’exil offre à Renée-Pier une sortie de secours capable de la mener loin d’un monde devenu monstre. Au terme de la traversée du désert qui durera deux ans, où rien ne lui est épargné,  ni la peur, ni la rage, ni le désespoir, Renée-Pier rentre chez elle enfin apaisée. Mais que sont devenus ses proches? Et cet amour naissant resté en plan? Et surtout, quelle forme prendra ce projet qui a germé en elle pendant ces années de silence? Vingt ans plus tard, le massacre de Polytechnique demeure à bien des égards une énigme et pèse de tout son poids dans notre inconscient collectif. Soudoyer Dieu propose en toile de fond une riche réflexion et y porte, avec délicatesse, un autre éclairage. 

Avis :

Thérèse Lamartine, nous offre une autre vision de la tragédie de l’École Polytechnique de Montréal. Une vision humaniste, mais aussi un cri de révolte. Se basant sur un fait réel, elle mêle la fiction avec brio. Ce livre n’est pas complémentaire au film de Denis Villeneuve, il se distincte par son introspection sur les personnages qui sont des êtres blesser. Le livre apporte une riche réflexion qui suscitera beaucoup de questionnement chez le lecteur, un sujet qui sera discuté autour de nombreuses tables durant ces prochains mois.

En tant que lecteur – et je n’ai pas aimé le film du tout –, j’ai pris un réel plaisir à lire ce roman. Ce témoignage aborde un thème difficile qu’est la perte d’un proche, mais aussi tout le questionnement sur l’après “Polytechnique”.

Le roman est exemplaire par son écriture et par le sujet traité, sans voyeurisme, juste un éclairage subtil et justifié.

Un vrai roman qui secouera de nombreux lecteurs.

Un régal.

Auteure :

Au fil du temps, les trois passions de Thérèse Lamartine, les mots, la politique et l’environnement, se sont souvent entrecroisées. Née à Québec, Montréal devient sa ville d’adoption où elle fonde avec une amie la Librairie des femmes d’ici en 1975, une première au Québec. À partir du milieu des années 1980, elle occupe diverses fonctions au sein du gouvernement fédéral, dans les secteurs du développement social et des communications. En mars 2009, Thérèse Lamartine libérera son poste de directrice de Condition féminine Canada au Québec et au Nunavut, poste qu’elle occupe depuis 2004. Au plan politique, la présence agissante des femmes dans la société, l’exercice de leur pouvoir et l’apartheid qui les a longtemps frappées, et au premier chef dans l’univers de l’ingénierie, ont toujours été et demeurent un moteur d’action chez elle. Côté littéraire, Thérèse Lamartine a publié en 1985 une véritable anthologie du cinéma des femmes, Elles, cinéastes… ad lib, puis elle a contribué à quelques ouvrages collectifs. Elle rédige aussi des nouvelles et, plus récemment, elle s’est intéressée à l’écriture dramatique. Sa pièce de théâtre, Autodestruction, qui prendra l’affiche en avril 2009, traduit ses vives préoccupations environnementales.

Références :

Titre : Soudoyer Dieu
Auteure : Thérèse Lamartine
Éditeur : Les éditions JCL
ISBN : 978-2-89431-404-3
Prix : 17,95 $

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Entrevue avec Thésèse Lamartine

MiQ : "Soudoyer Dieu " propose un nouvel éclairage sur le drame de l’École Polytechnique de Montréal. Comment avez-vous abordé ce sujet délicat?
Thérèse Lamartine : Au début de l’écriture de Soudoyer Dieu, pendant la crise du verglas en 1998, la tragédie de Polytechnique n’en était pas le sujet. Il s’est imposé au fur et à mesure que le personnage de Renée-Pier Laberge prenait forme. En fait, le matériau de base du roman était la nécessité de parler de la douleur des femmes, de la douleur d’être femme. Même en Occident. Même au Québec. Même à la bascule du XXe siècle. Un jour, il m’est apparu évident que le drame de Polytechnique, par le précédent qu’il créait et son ampleur, contenait et symbolisait à la fois cette douleur, dans son expression extrême. Un homme assassinait 14 femmes parce qu’elles étaient des femmes. Par ailleurs, j’avais toujours pressenti que ce drame allait un jour m’inspirer un essai, un film peut-être ou encore une pièce de théâtre. Au fil des ans, j’ai colligé à peu près tout ce qui s’est écrit sur Polytechnique. L’idée d’un roman s’est peu à peu imposée. Un roman m’apparaissait plus organique, plus près de la chair vive de cette inimaginable transgression, qu’un essai. C’est alors que le personnage de Renée-Pier Laberge, qui s’élaborait en parallèle, s’est fondu dans la tragédie du 6 décembre. En 1999, Soudoyer Dieu existait, mais il n’était pas abouti. Il a dès lors reposé presque dix autres années quelque part dans mon inconscient. En janvier 2008, j’ai éprouvé le désir de reprendre cet ouvrage là où il était resté et de le mener là où il me semblait devoir exister.

MiQ : Par rapport au film récemment sorti en salles, votre roman s’attarde sur le destin de Renée-Pier Laberge, et non sur Marc Lépine, le tueur. Pourquoi avoir choisi cet angle assez novateur?

Thérèse Lamartine : Ce choix traduit le désir (ou la nécessité) d’explorer les conséquences de la tragédie sur un être qui n’avait a priori aucune disposition de victime. Jeune femme bien de son temps, athlète d’exception, ayant pourtant à un moment clé de son existence renoncé à son grand rêve olympique, mon personnage est happé par le geste du tueur. Et comme plusieurs autres, sa vie en sera à jamais transformée. Ce n’est pas l’histoire du tueur qui m’intéressait, mais tout ce qu’il a tué en nous, en plus de ses 14 victimes directes. Malgré le ton grave de Soudoyer Dieu, cette histoire en est une de résilience. Dans un ordre d’idées apparentées, le film de Denis Villeneuve ne mentionne jamais le nom du tueur de crainte d’en faire, à son corps défendant, une sorte de héros. À l’instar du cinéaste, j’ai ressenti la même nécessité de taire son nom. La seule fois où j’y fais allusion, c’est en quelque sorte pour lui redonner sa complète identité en l’appelant Gamil Garbi. Vous savez peut-être que, jusqu’à l’âge de 14 ans, il s’appelait Gamil Garbi, du nom de son père algérien et, qu’à cet âge, il a rompu tous les liens avec ce père, y compris celui du patronyme.

MiQ : Quels souvenirs gardez-vous de la tragédie?

Thérèse Lamartine : Le silence oppressant du lendemain matin, dans les endroits publics – les couloirs, les ascenseurs, les aires de repos, la rue même, partout – demeure un des souvenirs indélébiles. Une chape de plomb semblait avoir été coulée sur nos émotions. La vie paraissait s’être arrêtée et les gens étaient pétrifiés. Peu après, on a assisté à un véritable musellement de celles et ceux qui ont posé des questions dérangeantes mais si pertinentes. Certains ténors de la société les ont sommés de se taire. Des femmes surtout ont été accusées de détournement du drame à leurs propres fins idéologiques. Cela m’a indignée, tout autant que le refus du gouvernement libéral de l’époque – le gouvernement Bourassa – de mener une enquête publique. Voilà que le Québec est le théâtre d’un assassinat collectif sans aucun précédent documenté dans l’histoire humaine et non seulement on décourage toute espèce de véritables échanges, mais on répond par la négative à une tentative minimale de comprendre, soit à la tenue d’une enquête publique. C’est d’ailleurs précisément pour cette raison que Renée-Pier mènera sa propre enquête privée, comme elle la désigne, dans le dernier chapitre de Soudoyer Dieu.

MiQ : Votre roman démontre que malgré cette tragédie, l’espoir est toujours présent. "Soudoyer Dieu " est-ce un cri du cœur pour les victimes afin de ne pas les oublier?

Thérèse Lamartine : Je dirais que c’est d’abord et avant tout un cri de révolte, de même qu’une plaidoirie qui s’adresse non seulement aux femmes, mais aussi aux hommes de bonne volonté. Il nous faut continuer de travailler à l’édification d’une égalité de faits et d’identifier les actes de misogynie qui n’est pas chose du passé, comme on voudrait tant nous le faire croire. Cela dit, je pense que, d’un point de vue éthologique, je ressens le besoin de mettre mes mots au service d’une humanité meilleure. Bien que ce ne soit pas à la mode, ils sont d’une certaine manière militants et je n’ai aucune honte, au contraire, à l’affirmer. Je crois qu’il ne suffit pas d’invoquer le devoir de mémoire. Encore faut-il que ce devoir soit actif et incarné dans un désir de changement. C’est un peu ce que j’ai tenté de faire avec Soudoyer Dieu. Dans cette histoire, ne l’oublions pas, la vie triomphe de la mort. Renée-Pier est une résiliente. Je tiens à noter que je ne connaissais aucune victime directe de cette tragédie et que je suis une des rares femmes à mettre des mots de fiction sur l’impensable. Mais j’ai aussi cherché à mettre des mots sur notre courroux. En quelque sorte, Soudoyer Dieu est né de ce courroux.

MiQ : Comment vous êtes-vous préparé au niveau des recherches pour préparer le roman?

Thérèse Lamartine : J’ai lu beaucoup – sinon tout – lu sur la tragédie de Polytechnique et, contrairement à ce que l’on pourrait croire, les documents sont très peu nombreux. Je collige d’ailleurs une revue de presse personnelle depuis le 7 décembre 1989. Notons, qu’elle s’est enrichie de façon notable depuis la sortie du film de Denis Villeneuve. À cet égard, j’ai du respect pour le travail de Villeneuve. Il faut toutefois remarquer que le film sur la tragédie de Polytechnique, vu par un regard de femmes, reste à réaliser. Du scénario à la direction photo, de la musique originale à la réalisation, en passant par le montage, le film Polytechnique est masculin. Seule l’idée initiale vient d’une femme qui a su, malgré les refus et les mises en garde nombreuses, garder le cap. Que l’on me comprenne bien. Non pas que le regard des femmes serait meilleur. Il n’est pas là, et ce regard manque terriblement.

MiQ : Malgré que ce soit une histoire fictive, votre roman mélange une tragédie réelle avec de la fiction. Comment arrive-t-on le juste équilibre entre le réel et la fiction sans tomber dans le voyeurisme?

Thérèse Lamartine : Puisqu’il s’agit d’un événement historique, je n’ai pris presque aucune liberté sur les faits. Quant à l’équilibre entre réalité et fiction, j’ai fait le choix de ne pas rencontrer de victimes du drame. Une telle démarche me semblait peu compatible avec le désir de mettre des mots de fiction sur ce trop réel événement. D’autre part, je crois avoir observé une très grande discrétion devant cet événement et c’est avec une infinie délicatesse que j’ai suivi le parcours de mon héroïne qui m’habite encore, de même que ses réflexions sur les hommes, les femmes, la société moderne.

MiQ : Avez-vous des rituels en écriture? Écrivez-vous le matin, le soir, la nuit?

Thérèse Lamartine : Le matin a bien meilleur goût. Jusqu’à ce jour, je volais à mes congés et à mes fins de semaine de précieuses mais trop brèves heures d’écriture. Or le 30 mars prochain, je libérerai mon poste de directrice de Condition féminine Canada, au Québec et au Nunavut, ce qui du coup libérera aussi beaucoup de temps pour écrire. Il se pourrait bien que mes habitudes en soient quelque peu modifiées. Ainsi, vendredi dernier, dans la nuit, j’étais incapable de dormir, tarauder par une histoire à raconter. Eh bien, j’ai écrit une nouvelle en un peu plus de deux heures, alors que je peux parfois engloutir des jours et des jours dans pareil travail. Et, ô bonheur, au petit matin, à la relecture, elle tenait la route, y inclus son titre assez intéressant.

MiQ : Vos projets?

Thérèse Lamartine : Précisons d’abord que je me définis comme une écrivante. Ce que je veux traduire par cette expression est le fait que j’ai toujours eu des occupations professionnelles exigeantes et que ma passion pour l’écriture n’a pu, jusqu’à ce jour, s’exprimer à temps plein. Mais cela est en voie de changer de manière radicale, et déjà je mène plusieurs projets de front. Depuis quelques années, je m’intéresse à l’écriture dramatique et ma pièce de théâtre Autodestruction, une autopsie de la dérive automobile du XXe siècle, prendra l’affiche du 8 au 12 avril 2009, au Centre culturel Calixa-Lavallée, à Montréal. Avec une partenaire d’écriture, je travaille par ailleurs à l’adaptation théâtrale d’un roman. J’ai aussi deux autres projets solo : un recueil de nouvelles dont l’écriture est très avancée ainsi qu’un autre roman. Vendredi dernier, j’ai par ailleurs appris que j’avais remporté le prix d’un concours de nouvelles. Comme le résultat ne sera connu qu’en mai prochain, je ne peux dévoiler le nom de cette société qui récompense les auteurs de nouvelles. Enfin, la semaine prochaine je pars au Salon du livre de Paris qui se tient du 13 au 18 mars. Après quoi, ce sera les salons de Québec et de l’Outaouais.

Note : Voici le fichier de promotion d’Autodestruction

Copyright – Made in Québec – Jean-Luc Doumont – 2009
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